[...] Historien américain reconnu, spécialiste des Restaurations française et belge à la Marquette University de Milwaukee (Wisconsin), il multipliait les voyages en Europe [et] affichait haut et fort son amour de la France. A 74 ans, John William Rooney a été renvoyé, mercredi 23 novembre, devant le tribunal correctionnel de Paris.
Avec son ami, Marshall Lawrence Pierce, il est poursuivi pour "recel de biens provenant d'un vol". Tous deux sont soupçonnés d'avoir dérobé aux Archives nationales de nombreuses pièces, dont un original du traité de Fontainebleau par lequel, en 1814, Napoléon renonçait au trône et réglait son départ à l'île d'Elbe. Les faits ayant été commis entre 1974 et 1988, le délit de vol est prescrit. Mais pas celui de recel.
L'affaire a en effet été découverte en 1996. Epluchant un catalogue de la maison de ventes Sotheby's venant de New York, un employé des Archives nationales tombe sur le fameux traité, mis en vente par M. Pierce. Le document n'est pas banal.
La France en a possédé trois exemplaires (signés avec la Prusse, l'Autriche et la Russie), mais deux d'entre eux ont été détruits. La légende veut que Napoléon en ait déchiré un. Le deuxième a brûlé dans un incendie. Propriété des Archives, le troisième a été exposé pour la dernière fois en 1967. Les archivistes vérifient immédiatement et confirment leurs craintes : le document a disparu de son carton.
Les autorités françaises déposent plainte. Le FBI est alerté. Le traité est retiré de la vente new-yorkaise, ainsi que les lettres de ratification qui l'accompagnaient, dérobées elles aussi. En France, une information judiciaire est ouverte. L'enquête est confiée à l'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels. Des recherches sont menées dans les cartons consultés par le professeur Rooney aux Archives nationales, mais aussi au Service historique de l'armée de terre, à Vincennes (Val -de-Marne). Des dizaines d'autres pièces manquent. "Une partie d'entre elles n'ont jamais été retrouvées, et comme M. Rooney n'est pas le seul a avoir consulté les cartons auxquels elles appartenaient, on ne peut pas l'accuser sans preuves", soupire-t-on aux Archives nationales.
Lors d'une perquisition, en 2001, au domicile de M. Rooney, les policiers américains découvrent toutefois une trentaine de lettres du comte de Provence. Encore des pièces de grande valeur historique. [...] Sur chaque manuscrit, l'estampillage "Archives nationales" a été découpé.
Le traité et ces correspondances ont été solennellement remis, en avril 2002, par l'ambassadeur des Etats-Unis en France au juge d'instruction Gérard Caddéo. D'autres pièces ont été rendues à à la fin de l'année 2002. Les Américains se sont pourtant montrés fort peu coopératifs dans ce dossier. La commission rogatoire internationale transmise par le juge Carréo a été très mal exécutée. Le juge français n'a jamais été autorisé à se rendre aux Etats-Unis. Il n'a donc pu interroger ni les deux principaux suspects ni les responsables de Sotheby's. La liste des pièces saisies lors de la perquisition ne lui a jamais été transmise. Quant au mandat d'arrêt international délivré en mai 2000, il est resté lettre morte.
La justice américaine, qui, comme celle de la plupart des pays, n'extrade pas ses nationaux, s'est par ailleurs montrée clémente. MM. Rooney et Pierce, qui affirmaient avoir acheté légalement les pièces en France, ont été condamnés, en juin 2002, respectivement à 1 000 et 10 000 dollars d'amende pour "délit douanier".
Le procès en France devrait avoir lieu en 2006. Les deux hommes risquent trois ans de prison. Aux Archives nationales, chacun rêverait de voir à la barre le fameux professeur. "Un passionné, qui attachait manifestement au document une valeur sentimentale", assure un archiviste. L'homme n'a-t-il pas attendu au moins huit ans avant de mettre la pièce en vente ?
Mais, au palais de justice, on souligne qu'il n'a "jamais coopéré" à l'enquête. Il apparaît donc "peu probable" de voir l'éminent professeur pousser la francophilie jusqu'à se présenter à l'audience.
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Source : Le Monde. Auteur : Nathaniel Herzberg.
Article paru dans l'édition du 27.11.05
est-ce qu'il s'agit du même Rooney qui écrivit quelque chose sur le combattant de 1830?Oui?
RépondreSupprimerMerci.Jacobus.
Je pense que oui...
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