17 mai 2004

MZA ou la disparition

Explication de texte sur les Méchants Z'Administrateurs de France et d'ailleurs.

Le franchouillard est persuadé que toute la misère du monde s'abbat sur ses petites épaules délicates dès qu'il passe le seuil d'une Administration publique dans sa patrie : Sécurité Sociale, Préfecture, Poste…... Que celui qui n'a jamais été la victime apparente du sadisme d'un employé fonctionnaire qui lui aurait rabattu violemment sur les doigts la partie mobile de la plaque de plexiglas de son guichet lève la main. On maudira alors pendant des jours et des jours les Méchants Z'Administrateurs (MZA) qui s'empressent de fermer à 16h45 quand vous vous apprêtiez ingénument à ouvrir la porte, dans votre naïveté du « Mais c'est ouvert jusqu'à 17h, non ? » Oui, certes, mais bon, il faut éteindre les ordinateurs, la photocopieuse, éventuellement faire un dernier passage à la machine à café, sinon où vont les relations sociales dans ces bureaux, je vous le demande… Ahhhh bon. Soit. Cela a une certaine logique.

Dans notre grande naïveté, donc, lorsqu'on arrive en Terre Etrangère, on se dit qu'enfin, peut-être, ce sera mieux. Mais il semble malheureusement que les MZA ne connaissent pas de frontière car il est jouissif de rebuter le gentil contribuable harassé dans sa lancée optimiste du « Il me reste encore un peu de temps avant que ça ferme » ou équivalent, quelque soit l'endroit où il se trouve.

Je puis ainsi vous compter par le menu mes derniers déboires basques espagnols.

Il y a deux semaines, dans mon envie de me cultiver en parcourant le pays, me voilà partie à Vitoria-Gasteiz, petite bourgade basque de 200 000 habitants, capitale de la province d'Alava. Charmant centre ville aux allures de Moyen Age, où la modernité a tout de même percé récemment : un musée d'Art contemporain flambant neuf, géré par la ville (les MZA, ouioui). Qui proposait alors, entre autres, une exposition photographique de l'Américain William Wegman, celui là même qui s'amuse à photographier son chien avec des feuilles de nénuphar sur la tête. C'est là que commence la scène. Comme dans tout musée qui cherche à garder une partie de ses investissements, on vous prête un audio guide si vous acceptez de vous délester d'une pièce d'identité pour la visite du musée. La contribution aurait pu être pire, on est content, on va tout comprendre, on accepte donc. On visite, on en profite, on se promène, on admire, on s'interroge sur le fait qu'une serpillière traîne au milieu d'une pièce, on se rend compte ensuite que c'était une oeuvre, ce n'est pas notre faute, celle ci n'etait pas expliquée dans le tour. On rend l'audio tour, on dit merci et au revoir, on termine de se promener un peu dans la ville et on rentre tranquillement chez soi le soir.

Le lendemain, on vaque tranquillement à ses occupations, et en fin de journée, un vendredi, on se décide à aller remplir son réfrigérateur pour ne pas se réveiller un dimanche après-midi avec une faim chronique et la désillusion de ne retrouver qu'un paquet de pâtes d'il y a trois ans dans un placard de la cuisine - en Espagne on n'est pas prêt d'avoir les supermarchés ouverts le Jour du Seigneur. On remplit son chariot, on passe en caisse, on est moderne et on paie avec une carte bancaire, la caissière demande une pièce d'identité et le monde s'écroule. On ne la retrouve pas. On sent déjà se profiler la désillusion et la faim chronique du dimanche après-midi quand on ne mettra que la main sur ce vieux paquet de pâtes sus-cité. Evidemment il nous reste exactement deux Euros et trente deux centimes en monnaie ce qui nous paie un paquet de pâtes neuf et de l'huile d'olive mais on n'a pas pu retrouver cette fichue carte d'identité. On rentre perplexe, et, tout à coup, on réalise avec un cri d'horreur qu'elle doit être encore bien au chaud avec le chien de Monsieur Wegman et ses nénuphars, à peu près à 200 kilomètres de là. Horreur et damnation. Le lendemain, samedi, on prend donc son courage à deux mains et à un téléphone pour appeler le Musée. On lutte pour obtenir la gentille opératrice qui va nous parler en castillan et pas en basque, voilà merci, sinon on ne va jamais se faire comprendre. Quand enfin on réussit à avoir le guichet au bout du fil, une voix gnangnan nous dit tranquillement « ahhhh oui, votre carte d'identité… Moui je crois qu'on l'a remise à la Police Municipale de Vitoria hier soir ». De la même manière qu'on vous dirait « Revenez demain, Madame Michu ne peut pas s'occuper de votre dossier aujourd'hui, son chat est malade ». On remercie en aillant envie de hurler mais on reste poli parce que nos parents nous ont bien élevé, il faut que ça serve.

Inutile d'appeler la Police le samedi, le service des Objets Perdus n'est évidemment pas ouvert un tel jour. La veille du Jour du Seigneur. Pensez donc.

On ronge son frein et on attend lundi. A la première heure d'ouverture, on se jette à nouveau sur son téléphone. Il est alors sensiblement 10h20. Au bout de transferts téléphoniques qui vous semblent durer des heures et pendant lesquels vous êtes toujours obligé de vous battre pour qu'on vous parle en castillan et non pas en basque, on vous donne enfin le Service. Au bout d'une quinzaine de sonneries, un MZA décroche, désabusé. Vous lui expliquez poliment (bon, presque poliment, parce que vos parents vous ont bien élevé mais ne vous ont pas véritablement préparé à cela) votre souci, le MZA s'empresse d'aller vérifier si votre carte chérie est arrivée, il bat le record du monde de revue de cartes perdues, et au bout de huit minutes exactement, vient vous dire que, non, il n'a pas de carte d'identité étrangère en stock. Vous êtes désespéré. Non seulement vous n'avez plus de carte d'identité mais en plus vous n'allez bientôt plus avoir de forfait téléphonique à ce train là. Par acquis de conscience, vous persuadez le MZA de prendre votre numéro de portable en note, au cas où il retrouve votre carte sous sa tasse à café, il accepte, dans un instant de folie qu'il ne pourra peut-être jamais expliquer…...

Deux jours plus tard, on vous appelle : Byzance ! En basque, dommage. Comme vous ne comprenez rien, vous rappelez et demandez une traduction instantanée qui n'est pas aussi rapide que son nom devrait l'indiquer, mais vous finissez par tomber sur le MZA qui a retrouvé votre carte. Vous en pleureriez presque… ...Ce n'est pas terminé. Le MZA veut savoir ce qu'il fait de la carte maintenant. Il faut que vous lui dictiez votre adresse en castillan. Tout ceci prend aux alentours d'un bon quart d'heure, mais vous allez enfin récupérer votre bouille en noir et blanc. Il vous promet de la mettre au courrier dans la minute. Il le fera donc probablement avant la fin de la semaine si tout se passe bien.

Entre temps, la désillusion, pas celle du dimanche après-midi et du paquet de pâtes, non, une autre, plus sournoise, plus vicieuse, qui s'insinue lentement, vous dit que vous allez encore attendre un peu, mais vous gardez l'espoir ridicule que maintenant, tout va bien se passer. C'est comme être à bord du Titanic et se dire qu'on est sauvé de la noyade.

Je n'ai toujours pas récupéré ma carte. Je ne sais pas si les MZA de la Police de Vitoria l'ont gardée en souvenir, si elle est toujours sous une tasse à café ou bien si la Poste l'a entre temps égarée, à moins que le concierge de mon immeuble l'ait accroché sur le mur de sa cuisine… J'ai désespérément essayé de rappeler la Police de Vitoria mais personne ne sait plus rien, c'est à donner envie de ne plus être poli du tout, éducation parentale ou pas.

Après ça, allez donc comprendre pourquoi les gens n'aiment pas les fonctionnaires…...


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Edit : j'ai recu la carte par la poste de la part de mes parents quelques semaines plus tard. Visiblement, le MZA l'a expediee a l'adresse indiquee au dos... et pas a celle que je lui avais consciencieuement dictee. Grrr...

05 mai 2004

Un jour, la culture s'étendra sur la Terre

DolceVita expatriée en Espagne voit bien après tout le monde arriver les phénomènes de société. BookCrossing.com a enfin traversé l'Atlantique pour aborder l'Europe et faire une percée en péninsule ibérique. Aussi étrange que cela puisse paraître, nous voilà reliés au Nouveau Monde par …la culture.

Mais si, c'est possible. Prenez 3 Américains pacifiques épris de culture - denrée rare mais tout de même - et laissez les mijoter un projet de bibliothèque planétaire sans budget conséquent. De quoi promouvoir la lecture et les échanges de livres de manière originale. En semant vos livres à tout vent.

Qui n'a jamais trouvé un livre sur le banc d'un quai de gare, dans une chambre d'hôtel, à la terrasse d'un café, puis l'ayant récupéré et lu, à nouveau laissé au jeu du hasard à l'autre bout du monde dans un restaurant, une cabine de téléphone, les marches d'un escalier ? C'est sur ce constat que l'Association BookCrossing s'est constituée en 2001. Leur concept ? Transformer la planète en bibliothèque. Gratuite. En « libérant » des livres un peu partout.

Les livres BookCrossing sont répertoriés sur le site Web grâce à un code de 10 chiffres BCID (BookCrossing Identification number). En trouvant un livre libre, votre mission, si vous l'acceptez, est de lire l'ouvrage, et, une fois achevé, d'aller sur le site BookCrossing.com pour le répertorier. De façon anonyme ou non : dites où vous l'avez trouvé, dans quel pays et quelle ville vous habitez, et ce que vous en avez pensé. Ensuite ? Ensuite vous pouvez relâcher l'ouvrage. Promis, il ne s'autodétruira pas dans les 5 secondes.

L'idée sympathique n'est pas seulement de trouver un livre… Mais aussi d'en relâcher, pour le simple plaisir de voir ensuite où il va se promener. Pour libérer un ouvrage, il suffit d'aller sur le site, et demander à le répertorier. On vous donnera un BCID, son numéro de passeport pour voyager en toute impunité, et qui vous permettra ensuite de suivre la larme à l'oeil les pérégrinations de votre bébé… ...

Et pour être sûrs que votre oisillon ne tombe pas du nid au premier coup de vent, au lieu de laisser votre Livre Libre n'importe où et qu'il termine esseulé dans une ruelle obscure, vous pouvez aussi vous référer aux « Hunting Zones » de BookCrossing.com, les endroits répertoriés comme points d'échanges d'ouvrages. J'ai vérifié, il y en a partout - même au Zimbabwe. Et pour augmenter vos chances de repartir ensuite avec un autre petit, le site donne aussi la date des derniers « lâchers » de livres par région. Pour que vous puissiez partir en chasse de lecture et culture.

Vous me direz que c'est bien joli mais on tombe sur n'importe quoi avec ce système là, et pas forcément sur des livres qu'on aurait aimé lire. C'est vrai. Et c'est peut-être aussi le charme de l'histoire. Se laisser prendre au jeu et découvrir un nouvel auteur parce qu'on n'y aurait jamais jeté un coup d'oeil autrement. Parce qu'on est bassement matériel et qu'on était bien loin d'envisager de débourser un centime pour un tel ouvrage. Parce qu'on se veut ouvert prêt à découvrir les autres… Mais que, foncièrement, on n'avait aucune idée de l'existence de Monsieur Unai Elorriaga, Basque Espagnol qui écrit merveilleusement bien (Un Tranvía en SP).

En Espagne où je suis en ce moment, des étudiants en Mastère de l'Université de Deusto (Campus de Bilbao, Donostia et Vitoria) ont ainsi eu l'idée de promouvoir ainsi de trois jeunes auteurs frais émoulus des bancs de leur fac en lâchant des exemplaires de leurs romans dans les couloirs et patios des campus. Peut-être l'idée germera t-elle du côté des grands créatifs chargés de campagnes de lancement publicitaire pour des maisons d'édition : une sorte de bouche à oreille mondial via un partenariat avec l'Association BookCrossing. Pour que la culture s'étende sur la Terre.