J'étais il y a quelques temps à Paris pour rencontrer la personne qui rédige la Newsletter Piper-Heidsieck, et au détour d'une pause café, dans l'après-midi, nous voilà parties à parler de New York, sourire aux lèvres, et les yeux perdus sur la ligne des buildings que nous imaginions en soupirant.
Et là, changeant littéralement de ton, elle se met à me parler d'elle. La quarantaine établie, divorcée de longue date et installée à Paris, elle a un « ami » de l'autre côté de l'Océan. Comme c'est mon cas par la force des choses, je l'écoute avec une attention toute renouvelée, essayant de comprendre son entrain.
Des années d'un mariage retombé comme un soufflet, avec posts-it sur le réfrigérateur pour « ne pas oublier le pain mon chéri », les lessives à enchaîner, le petit pavillon dans une banlieue trop proche du RER et les dîners chez les Duchmol du samedi soir, qui vous font bailler à n'en plus finir dans les vapeurs d'alcool d'un Côtes du Rhône trop acide, ce bonheur simple, oui, où on allait faire nos courses au supermarché après les embouteillages et on se chamaillait pour prendre les pâtes Barilla ou De Cecco, le tic tac d'une horloge et les tupperwares bien alignés en haut de l'armoire, ce bonheur horrible d'une vie déjà trop établie, ce bonheur dont on rêve mais dont on se lasse si vite, ce bonheur si fragile s'effrite comme les verres de mamie, mais fais attention tu vois bien que ça ne va pas au lave vaisselle.
La belle fait alors sa valise pour se retrouver dans la capitale qui explose d'une passion effrénée, pour refaire sa vie comme on dit, reprendre ses envies où elle les avait laissées pour les troquer contre des sets de table en plastique - six pour le prix de quatre -, et se remettre à écrire, enfin. A son compte, mais pas directement, en devenant au fil du temps experte en sémiologie d'entreprise. « le sens et les mots ». C'est beau.
La belle a maintenant un « ami » qui habite New York et trouve la vie fantastique. A courir la vie, la fleur aux dents, d'un taxi à un avion il n'y a qu'un pas, et se retrouver dans Manhattan au bras de celui qu'elle aime. La passion lui donne des ailes. Elle clame la liberté, le plaisir des retrouvailles sans cesse renouvelé, la lassitude du quotidien enfin jugulée, le bonheur sans chaussettes à laver.
Que tout ce bonheur se doit d'être parfait ! Car après tout, ils n'ont que quelques jours, quelques heures, quelques instants de ce précieux temps partagé, on fait peut-être semblant d'être ensemble, on se dit « passe-moi le sel » comme « je t'aime », car cela sonne nouveau, à chaque fois. Le banal est révolu.
C'est une mode qui semble s'étendre sur la scène bobo parisienne. Prôner les idéaux d'ailleurs en toute impunité, montrer qu'on est assez fou pour ne pas vivre ensemble, mais porter à leur quintessence ces moments partagés, pour ne jamais partager que le meilleur, car qu'est ce qui tue le couple, si ce n'est cette intimité délavée au fil des ans ?
Dans mon nouvel appartement rémois - en deux ans à peine j'ai habité dans pas moins de neuf appartements ou maisons différents, ne restant jamais plus de six mois au même endroit - je m'interroge et je rêve du bercement lancinant d'une machine à laver.
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