" L’enfer est pavé de bonnes intentions : les stages en entreprises en sont un parfait exemple.
L’idée originelle était fort louable, puisque l’objectif était de permettre aux étudiants découvrir ce monde étrange – du moins, paraît-il étranger aux enseignants - dans lequel ils seront amenés à effectuer leur carrière professionnelle. Evidemment, pour encourager les entreprises à accueillir en leur sein ces ignorants, les stagiaires sont peu rémunérés (de l’ordre de 300 € par mois) et l’entreprise est, de plus, exemptée de toutes cotisations sociales. Le succès de cette formule va au delà de tout espoir. Et pour cause, avec un tel coût de la main-d’œuvre, les entreprises n’ont pas tardé comprendre l’avantage d’un tel système : c’est une réserve de main-d’œuvre qui représente entre 1,5 et 2 millions d’étudiants ; main-d’œuvre encore plus flexible que celle en période d’essai (il existe même maintenant des avenants aux conventions de stage qui stipulent que le stagiaire peut être remercié au bout d’un mois s’il ne donne pas entièrement satisfaction !) et surtout encore moins chère. Dans cette population hétérogène, il y a même de la main-d’œuvre très qualifiée, puisque le cursus des étudiants en DESS (cinquième année d’études) prévoit obligatoirement un stage de trois à six mois, stage que les entreprises n’hésitent pas renouveler une fois ou deux, et quand l’étudiant perdant tout espoir d’être recruté quitte la société un autre surgit immédiatement pour prendre sa place !
[…]
Cet excessif recours aux stages soulève trois problèmes fondamentaux :
- Personne ne cotise à rien. Ceci concerne à la fois les retraites et les équilibres des comptes sociaux. Comment expliquer à la population qu’il est indispensable d’allonger la durée des cotisations retraite tout en faisant entrer les jeunes de plus en plus tard sur le marché du travail (sachant par ailleurs qu’il ne vaut mieux pas être chômeur après la cinquantaine) ? Comment hommes et femmes politiques n’ont pas compris qu’une telle incohérence entre les propos et les actes ne facilite pas la mise en place de réformes pourtant incontournables ?
- Les inégalités sont accrues. Comment les étudiants ne vivant pas chez leurs parents peuvent-ils s’en sortir avec 100 à 500 € par mois ? Une fois les études terminées, s’ils désirent « acquérir de l’expérience » encore faut-il que papa et maman puissent subvenir à leur besoins.
- Ce sont des emplois en moins. Certes, il est évident que la suppression des stages ne correspondrait pas à la création d’un nombre équivalant d’emplois, mais il est indéniable qu’il y aurait une création nette d’emplois car le recours aux stages n’est pas une prérogative des sociétés ayant une situation délicate! En tout état de cause, il ne s’agit pas de supprimer toute forme de stage, mais de mettre fin aux abus. Pourquoi ne pas allouer à tout individu un capital-temps au delà duquel il ne pourrait être employé comme stagiaire ? Pourquoi ne pas limiter la proportion de stagiaires dans une société, limite qui pourrait être calculée en fonction de critères financiers ?
In fine, qui rend service à qui ? De deux choses l’une, soit les étudiants n’acquièrent aucun savoir dans le système éducatif et ils devraient rémunérer les entreprises qui les accueillent en stage, soit ils ont acquis un certain savoir ou savoir-faire, mais alors les entreprises doivent les rémunérer. Bref, il est temps d’éclaircir le débat et de mettre un peu d’ordre dans le système des stages."
Pour l’article complet :
Catherine LUBOCHINSKY est professeur à l’université de Paris-II.
« Les Echos » , le 20/07/2004
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