30 novembre 2004

New York: I wanna be a part of it

New York est une ville qu'’on adore, qu’'on adule, qu’'on déteste et que l’'on vomit à la fois. S'’il y a bien une ville dans le monde à qui l’'on doit le charme de cette duale attraction / répulsion, alors c'’est celle-ci, the « greatest city of the world ».

Nourris à grand coups de productions hollywoodiennes, partout sur la planète, des générations entières se pressent à sa porte, tels les gamins le nez collé aux vitrines Macy’s à l'’approche de Noël, pour se frotter d’'un peu plus près au rêve, se prendre au jeu, se perdre dans Manhattan et sa forêt de gratte-ciels interminables.

Voir New York et mourir. Y être venu pour deux jours ou deux ans, le sentiment reste le même. Après l’'émerveillement, le choc culturel, on réintègre ses pénates, on reprend sa petite vie en rangeant proprement ses souvenirs sur une étagère que le temps se chargera d’'empoussiérer. Et puis un jour, bêtement, on allume sa télé, et on se prend au jeu du mange-cerveau, la bouche ouverte, et à crier à qui veut bien l'’entendre « c’'est New York à la télé, viens voir ! ». Comme si le reportage avait été fait juste pour nous, là, qui en revenons. Et cette bande annonce au cinéma, nouvelle production dont l’'intrigue se déroule encore et toujours à Manhattan.
Le cœoeur, dépoussiéré, soupire alors, explose de souvenirs, et d’'avoir trop expiré se crée en nous une sorte de vide étrange, de sentiment de manque, de vertige, le reportage est déjà terminé, la bande annonce achevée, et pourtant on en voudrait encore et encore…

New York possède cet étrange effet sur les expatriés et touristes qui y ont posé le pied, de provoquer, telle une drogue, des effets de manque. On est en Espagne et on fronce le nez en s'’installant dans une salle de cinéma riquiqui, encore plus en entendant la voix doublée des acteurs. On s’'en prend à regretter New York, ses mangeurs de pop-corn, bruyants, affalés et greffés de sodas qui font slurp au paroxysme de l'’intrigue du film.

Tout vous y ramène. Informations, musiques, films, romans, politique, amis, parents. Certains jours il semblerait à vos yeux que le monde tourne autour de cette ville. Toutes les tendances semblent s’'y créer et en émerger pour ensuite lentement s’'insinuer dans le reste du monde. New York est la ville de l'’avant première.

New York agit étrangement sur ceux qui y retournent, aussi. Sentiment partagé d’'horreur et de nostalgie devant les amoncellements indécents de déchets attendant piteusement l'’hypothétique passage des éboueurs, au grand bonheur des colonies de cafards et rats qui y prolifèrent. Sentiment, aussi, plus optimiste. Fausse impression de chaleur retrouvée, dans les volutes de fumée émanant des bouches d’égout, impression satisfaisante d’'être au cœoeur du monde. De se poser dans son appartement minuscule, s’'endormir au son des sirènes de police et coups de frein des bus en se disant, pourtant « home, sweet home ».

C’'est quelque chose que ceux qui n’'y ont pas été ne comprendront peut-être jamais. La dualité là aussi réside. On a beau être revêche et critiquer la ville à qui veut bien nous entendre encore une fois, on ne peut s’'empêcher d’'être heureux de la retrouver, enfin. Regardez moi ces américains qui ne savent même pas apprécier un verre de vin avec un morceau de fromage, et qui nous interdisent l’'importation sauvage de charcuteries. Regardez moi ces américains qui croient encore que la pizza est leur invention et que Paris est une ville des States. Regardez moi ces américains qui se demandent si la télévision existe en France et si nous avons l’'eau courante. Regardez moi ces américains qui sont les seuls au monde à ne pas faire fonctionner tous leurs appareils électriques en courant alternatif 220 Volts. J'’en passe et des meilleures.

Mais, une fois ailleurs, ce goût de fiel en bouche s’'efface et, le nez tourné vers la ligne bleue de l’'Océan, on cherche à capter quelques effluves de cette métropole grouillante. Son odeur particulière. Son rythme effréné. Son assourdissant tumulte.
Tel le papillon de nuit trop attiré par la lumière, on aimerait toujours pouvoir retourner à New York, « pour voir comment la ville a changé », pour s’'amuser simplement, pour y retrouver des connaissances. A d’'autres. Dites surtout qu’'en vous est né ce sentiment de manque, cette impression de louper quelque chose en étant ailleurs que là. Déjà parti mais en esprit encore sur place. Sachant très bien, après toutes nos digressions fielleuses, qu’'on ne voudrait pas y faire sa vie, oh non, car ce n’'est pas sain, trop de pollution, trop de gens, trop de cafards. New York est ceci : trop.

New York fait rejaillir ainsi rejaillir sur nous ce sentiment étrange et partagé. A la première occasion, à peine la fenêtre ouverte, le papillon dans sa précipitation viendra s'’y brûler les ailes…

26 novembre 2004

L'essence des bars new-yorkais

Extrait du roman noir « Les Morsures de l'’Aube » de Tonino Benacquista. Ou le comment du pourquoi du ce qui fait le bar new yorkais…

Quand je pense que les américains ont annexé l’'Europe, que leur manque de culture est devenu le nôtre, qu'ils nous ont fourgué tout leur bric-à-brac absurde, leurs fringues, leur cholestérol, leurs images, leur musique et leurs rêves. Mais tout en oubliant l’'essentiel. Le bar.
Pas question de se laisser embobiner par l’'Oncle Sam pour tous les irréductibles du ballon de rouge et du zinc des tabacs, les adorateurs de l’'apéro, les joyeux imprécateurs du pastaga, ceux qui ont décroché le cocotier quand survient l’'inespérée tournée du patron. Les Français ont inventé le café mais ils ne sauront jamais ce qu’'est un bar et comment on y boit.
Le bar new yorkais, c'’est le tabouret haut perché avec vue sur ce bas monde, et d’'où il vaut mieux ne pas descendre. C’'est le barman qui ne sait rien voir, celui qui ne déchire pas nerveusement les tickets du tiroir-caisse en attendant le pourboire, mais qui vous offre le quatrième si on se sort bien des précédents, celui qui a compris que plus on offre plus on commande, celui qui ne cherche pas à gagner en glaçons ce qu’'il perd en alcool, celui qui sait dire aux turbulents : « je vous l’'offre mais c’est le dernier », celui qui vous propose de le suivre chez un collègue dès qu'’il aura fermé.
Le bar new yorkais, c’'est le cadre supérieur qui ne croit plus aux charmes du zapping, le chauffeur de taxi qui se repose des dingues en déroute, les femmes de quarante ans qui n'’ont ni sexe ni âge, et tout ce beau monde s’'effleure les coudes sans faire d’'histoires, sans chercher à vendre son malaise, parce qu'’après tout : chacun le sien.
Le bar new yorkais, c'’est des verres qui se laissent peloter sans qu’'on puisse les renverser comme ça, un comptoir en bois lisse où peuvent se réconcilier deux équipes de base-ball en enfilade. C'’est une barre en métal qui vous cale du tangage, c’'est le billet de vingt dollars qu'’on pose devant soi et qui disparaît dès qu’'on l’a éclusé. Dans un bar new yorkais, personne ne vous encourage à entrer, personne ne vous montre la porte. Dans un bar new yorkais, on ne racle pas le fond de sa poche dans l'’espoir d’un sursis.
Les bistrotiers parisiens ne comprendront jamais.

L’'instant suivant est devenu new yorkais, ma soudaine et agréable solitude, mon verre épais et lourd, rempli d'’un liquide épais et lourd, mon regard perdu dans les rangées de bouteilles, face à un serveur en veste blanche à qui on a envie de dire « le même, Jimmy. »

Mais… déjà le ciel blanchit
Esprit je vous remercie.
De m’avoir si bien reçu.
Cochers lugubres et bossus !
Ramenez-moi au manoir.
Et lâchez ce crucifix…
Décrochez moi ces gousses d’ail !
Qui déshonorent mon portail !
Et me cherchez sans retard
L’ami
Qui soigne et qui guérit
La folie qui m’accompagne
Et jamais ne m’'a trahi
Champagne…

Jacques Higelin