05 décembre 2005

Aux Etats-Unis, les ménages défavorisés sont rentables pour les banques

[...] De retour d'un voyage d'études dans les banlieues des grandes villes des Etats-Unis, [des responsables de banques et de l'administration française] constatent que les services bancaires aux personnes à revenus faibles ou modestes constituent, outre-Atlantique, un marché concurrentiel et rentable pour les établissements de crédit.
En France, selon des estimations du ministère de la cohésion sociale, 5 millions d'individus sont tenus à l'écart du système bancaire au motif qu'ils ne sont pas assez rentables ou présentent un risque trop élevé d'insolvabilité. Soit ils sont privés de compte en banque ou de moyens de paiements, soit ils se voient refuser l'accès au crédit.
En installant le Conseil national de lutte contre la précarité et l'exclusion le 16 septembre, le premier ministre, Dominique de Villepin, s'est engagé à mettre la lutte contre l'exclusion financière, et l'accès au crédit, au coeur de l'action du gouvernement.
Aux Etats-Unis, la mise en place d'un marché des services bancaires aux habitants des quartiers défavorisés ne s'est pas faite à l'initiative des banques, mais sous la contrainte des autorités politiques. Ce sont, en effet, les mouvements antiségrégationnistes des années 1960 et 1970 qui ont conduit les administrations Johnson, Nixon et Carter à adopter des lois rendant illégales les pratiques discriminatoires dans l'accès au crédit, dont le fameux Community Reinvestment Act (CRA) de 1977, relancé par Bill Clinton en 1994. "C'est une loi sans équivalent en Europe, explique Kent Hudson, un consultant américain exerçant en France. Les banques américaines doivent prêter à la clientèle défavorisée dont elles acceptent les dépôts, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un partenaire financier spécialisé qu'elles subventionnent."
Seuls les établissements capables de prouver qu'ils ne peuvent distribuer ces crédits de manière rentable sont autorisés à s'affranchir de la loi. Le dispositif est très contrôlé, les banques devant publier leurs statistiques de crédits par zones géographiques et par communautés. Le moindre manquement se traduit par une baisse de la note que leur accorde l'autorité de tutelle des établissements bancaires. Il est immanquablement sanctionné par une campagne critique du mouvement consumériste, très puissant outre-Atlantique.
S'il a fait grincer des dents lors de sa mise en place, le système semble bien fonctionner. Plus de 40 000 établissements – des sociétés de crédit appartenant aux grandes banques, des banques sociales privées et des institutions proposant des crédits de très faibles montants– interviennent dans les quartiers difficiles, y proposant une gamme complète de services financiers (crédits hypothécaires ou à la consommation, etc.). Désormais, les crédits immobiliers accordés aux personnes à faibles revenus représentent 20 % du marché total, soit un encours de 800 milliards de dollars (684 milliards d'euros !). Un prêt à la consommation sur trois est accordé à une personne en situation de précarité.
[...]
Par ailleurs, tandis que l'exclusion financière régresse, certains quartiers auparavant économiquement et socialement sinistrés sortent la tête de l'eau. "A Chicago, une banque locale, la Shore Bank, a rendu possible la réhabilitation de quartiers entiers en moins de vingt ans en permettant à la population noire d'acquérir des logements, raconte Hugues Sibille, adjoint du président du Crédit coopératif. Elle a opéré comme une banque de marché, sans perdre d'argent."
[...]
Le modèle américain est-il transposable France ? "Il n'est sans doute pas duplicable en l'état", estime Luc Matray, directeur du Crédit municipal de Paris. De fait, si le nombre d'exclus financiers a baissé aux Etats-Unis, beaucoup de ménages modestes sont étranglés par des tarifs prohibitifs.
Pour M. Matray, l'expérience américaine montre surtout que la lutte contre l'exclusion financière "a besoin, pour réussir, d'une impulsion politique forte". Une telle impulsion continuerait de faire défaut en France, où la réflexion sur les moyens de lutter contre l'exclusion bancaire est centrée sur l'accès au compte et aux moyens de paiements. "En annonçant la création prochaine d'un service bancaire universel ouvert à tous, M. de Villepin veut généraliser l'accès au compte et ne fait qu'achever la politique engagée par Georges Pompidou", estime M. Matray.
_____
Source : Le Monde, Anne Michel. Edition du 19.11.05

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un petit mot fait toujours plaisir, même pour pointer une faute.

Si vous ne savez pas quoi choisir dans le menu déroulant, cliquez sur nom/url.
L'url est optionnel, et au moins vous aurez pu écrire votre nom !